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INTERVENTIONS - ÉCRAN TOTAL ("Copier/Coller") - La BF15, Lyon - (juin 2007)













copier - coller - couper ou la discrète disparition des dorures de la République.
(Texte de Marie Vallier-Savine)

Ce qui caractérise le travail de Laurent Pernel, c’est l’utilisation de l’espace et de ses composantes. Durant les travaux de rénovation de la BF15, il investit le nouveau lieu de la Galerie aux plafonds hauts et aux larges baies vitrées donnant sur la Saône, pour intervenir d’un geste englobant et réfléchi jusqu’à la discrète disparition de l’objet restitué.
En informatique, le "copier–coller" est une technique permettant de reproduire des données depuis une source vers une destination. Le projet copier-coller de Laurent Pernel, lui, prend naissance durant la campagne des Présidentielles ; le choix qu’il opère est de déplacer le ministère de la Culture, de le faire glisser à Lyon, de rendre visible son image en transposant les schèmes de représentation. Pour construire cet espace expérimental, à la fois orienté et sacralisé, l’artiste a visualisé, à l’aide d’une web caméra, l’un des Salons d’Honneur du ministère – le Salon Saint-Jérôme- ; il a effectué un relevé topographique, en a saisi tous les détails pour les transposer dans un lieu autre. Il a ensuite reproduit les éléments artistiques et architectoniques pour les rétro-projeter sur les murs de la galerie ; il a réalisé les enluminures, les cadres et les miroirs à l’aide de couvertures de survie achetés chez dans deux magasins de sport pour apporter une variante dans l’intensité des dorés. La restitution intègre donc l’ensemble des données documentaires, créé un espace totalement reconfiguré, propose une véritable mise en scène.

Cette notion de mise en scène a souvent été empruntée dans le domaine des arts plastiques. De la pensée de Guy Debord qui dénonce la spectacularisation dans les sociétés où règnent les conditions modernes de production aux discours proches de l’esthétique de la négativité d’Adorno, qui veulent purger le plaisir de toute identification émotionnelle pour les réduire à la seule réfléxion esthétique, nous sommes, ici, dans cet espace précis, amenés à prendre distance pour soulever le rôle et la place de l’espace public dans la fabrication de l’œuvre : l’espace public est un ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun… ainsi commence l’introduction de Jürgen Habermas, en 1962, à propos de la notion d’espace public ; amenés à prendre distance pour soulever la relation de l’œuvre à la dimension politique : la sanctuaristation du ministère de la Culture.

En s’appuyant sur l’installation d’objets dont la provenance, les fonctions et les implications culturelles sont diverses, la démarche de Laurent Pernel tente de résoudre une adéquation entre des données spatiales singulières et l’élaboration symbolique d’un territoire mental grâce auquel l’œuvre acquiert une autonomie dans laquelle elle intègre le lieu lui-même. La ‘forme’ donnée ici par l’installation est d’abord une certaine façon d’ordonner les choses qui contraint l’expression et agit comme un principe commun qui permet à des individus hétérogènes de se rencontrer. Le propos vise donc à englober à la fois l’apparence extérieure de l’œuvre, l’horizon social et culturel dans lequel elle s’inscrit et les façons de voir les représentations qu’elle définit. Cette conception de la forme définie par Wölfflin désigne des relations d’ordre, de rapports et de proportion mais aussi des représentations communes à l’artiste et à l’aire culturelle à laquelle il appartient ; cette conception s’accorde avec celle de Georg Simmel qui considère à la fois l’objet et le sujet, c’est-à-dire l’œuvre, son territoire et son public pour échapper à un dilemme essence – construction.

La restitution d’un salon d’Honneur du ministère de la Culture, issue des dispositifs de mise en espace, de l’implication des spectateurs, cultive un certain esprit de performance, nourri par la brièveté de l’action. L’intervention proposée par Laurent Pernel, jeudi 21 juin 2007, constitue une représentation fictionnelle et conduit le spectateur à poser un regard autre sur une architecture, un lieu habituel, un territoire ré-aménagé, et tente, ainsi, de modifier le comportement, l’attitude du corps et son déplacement. Demain les travaux continuent et l’œuvre restera contenue entre le mur d’origine et le placo.

Marie Vallier-Savine
Juin 2007