Du désoeuvrement

Publié le 9 octobre 2014
Du désoeuvrement

04
zéroquatre – Revue semestrielle d’art contemporain en rhône-Alpes
N°5/ automne 2009

Texte : Florence Meyssonnier

du désoeuvrement

par Florence Meyssonnier

Si pour l’ancien étudiant d’architecture que fut Laurent Pernel, perception et langage sont des actes de l’ordre de la construction, pour le sportif qu’il fut aussi, ils relèvent également de la performance. Et une fois de plus l’installation Glasnost à l’Espace Vallès confirme ces positions. Comme à son habitude, l’artiste investit les lieux comme un chantier. Du contexte, qu’il soit architectural, historique, social, médiatique ou personnel, il tire les matériaux de sa fabrique. Dans cet environnement, il met alors en place des régimes d’activités dans lesquelles il introduit, découpe, détourne, ou hybride les registres de formes et de sens. Mais de ses productions laborieuses, seules quelques traces iconographiques subsistent. Car ce qui importe à Laurent Pernel, c’est le fait d’obstruer un temps le regard pour mieux le désigner, d’introduire en son champs des éléments prétextes à rappeler que « donner à voir, c’est toujours inquiéter le voir, dans son acte, dans son sujet »1.

Dernier site d’intervention, l’Espace Vallès à Saint Martin d’Hère se situe au rez de chaussée d’un immeuble d’habitation commun des années 80. Il se distingue essentiellement par son ample ouverture vitrée sur un quartier de périphérie urbaine et sa configuration angulaire en deux étages (l’espace étant traversé par un sorte de passerelle qui nous conduit à une mezzanine). Ces données ont suffi à l’artiste pour mettre en œuvre cette Glasnost ou l’ambivalence de la transparence.

En coupant le lieu en deux au moyen d’un faux plafond au niveau de la mezzanine, il choisit d’appuyer cette césure de l’endroit pour manifester l’envers du regard.

Sous ce bas plafond trois imposants lustres renversés jalonnent la salle comme trois champignons, en appui sur les chaînes qui d’ordinaire les suspendent. A l’approche de ces constructions nous découvrons le dernier subterfuge de l’artiste pour mettre à mal les apparences. Des centaines de verres en plastique rainurés par des filets de colle, sont montés en grappes et font office de lampes. Le plafond est quand à lui constitué de napperons en dentelle de papier. Et le montage ne cache pas, mais au contraire expose ses ficelles. Lorsque nous empruntons l’escalier pour l’étage supérieur, nous découvrons l’assemblage de la fine paroi. En même temps que ce passage permet encore à l’artiste de nous impliquer dans le paradigme de l’illusion, il marque un changement dans son propre travail. Glassnost clôt pour lui une série d’œuvres reliant les signes du prestige à l’ornement bon marché. Des fastidieux modelages de papier aluminium en façade art-déco (à la galerie Roger Tator en 2006) aux projections topographiques de dorures découpées dans des couvertures de survie (à La BF15 en 2007) jusqu’à ces présents lustres, les valeurs ajoutées par Laurent Pernel s’abîment irrémédiablement en peaux de chagrin.

A l’étage se profilent les pistes plus récentes de son travail, dans l’élaboration d’images davantage marquées par les fictions mais traversées, comme dans ses œuvres en volume, par un même procédé d’hybridation et de montage. Le champs y est toujours travaillé par l’intrusion de hors champs. Dans la vidéo Face à Face, des personnages paraissent absorbés par leur horizon tout comme par les paysages imaginaires qu’ils transportent sous ces coiffes aux formes de navire ou de tricorne. À ses côtés, Laurent Pernel montre pour la première fois une photographie qui conserve la valeur « in situ » de son travail, tant elle questionne le lieu de la localisation. Prise dans un quartier de Montbéliard, elle superpose à un paysage de banlieue, une image de la Basilique Sainte Sophie d’Istanbul, tissée sur un tapis suspendu. Montrée ici dans un quartier lui même marqué par l’immigration, cette pièce est une nouvelle zone de travail pour l’artiste dans laquelle il fait glisser des réalités comme des écrans.

Si l’artiste se détache de l’ornemental, il ne rompt pas avec la surface des choses 2. Mais à l’encontre d’une esthétique cosmétique, ses œuvres non dénuées de qualités sensibles et poétiques, sont avant tout politiques car elles marquent un positionnement. Se situant dans le produire plus que dans le produit, elles restent aussi fondamentalement déceptives. Elles exposent le désoeuvrement qui est « de l’œuvre ou plus exactement de l’oeuvrer, ce qui excède à chaque moment et sans fin le produit, la satisfaction, l’accomplissement  » 3.

1 – Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Minuit, 1992, p. 51

2 – la surface des choses est le titre de l’exposition de Laurent Pernel à La Halle de Pont en Royans en avril 2009

3- Jean Luc-Nancy, entretien avec Chantal Pontbriand, Parachute n°100, 2000, p.31